Prédication du 2 novembre 2025 - Pasteure suffragante Karine Michel
Luc 19,1-10 « Hey Zachée, tu descends ? » – « Ben pour quoi faire ? »
Chères sœurs, chers frères, une nouvelle fois l’évangile du jour nous invite à suivre un personnage, bien connu de celles et ceux qui fréquentent régulièrement leur Bible : Zachée. Le petit Zachée, qui a très envie de voir Jésus, pour savoir qui est cet homme dont on parle tant, et qui doit pour cela monter dans un arbre car sa petite taille l’empêche de bien voir au milieu de la foule.
Dans la tradition théologique, on a pu lire ce texte de deux manières, l’une centrée sur Zachée et l’autre sur Jésus.
La première est centrée sur ce personnage attachant auquel on s’identifie facilement, notamment les enfants qui apprécient particulièrement cette histoire d’un petit bonhomme qui grimpe aux arbres.
En se centrant sur Zachée, on pense alors que le nœud du texte, son point culminant est la déclaration de Zachée : « Je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres », etc. Vient alors l’idée selon laquelle le salut arrive sur la maison de Zachée parce qu’il vit une transformation et décide de changer de manière d’agir et de vivre. Il passe de chef des péagers – un statut qui lui vaut une bien mauvaise réputation – à celui de généreux soutien des pauvres et des petits. Et c’est de cette transformation, par sa rencontre avec Jésus, que lui vient son salut. Ce texte nous inviterait alors à suivre l’exemple de Zachée afin d’avoir un agir plus éthique dans nos vies, pour nous rapprocher de Dieu.
Mais je dois vous avouer être peu convaincue par cette lecture possible.
Je ne crois pas que ce texte nous raconte un homme sauvé parce qu’il a décidé de donner la moitié de ses richesses et de rendre au quadruple ce qu’il a pu spolier à d’autres.
D’abord parce que lire le texte de cette manière nous amène assez vite sur une pente glissante : celle du salut par les œuvres.
Et puis, parce que, à bien y regarder, Jésus ne félicite pas Zachée de sa décision, il ne s’y arrête même pas, il ne la relève pas. Il le laisse parler, puis lui dit effectivement qu’il est sauvé, mais ajoute que « le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ».
La seconde lecture possible se centre sur Jésus, et elle me semble bien plus intéressante.
En suivant cette lecture, le texte nous raconte un homme sauvé parce que Jésus le regarde. Parce que Jésus porte sur lui un regard qui le relève, qui lui redonne sa dignité.
Certes, Zachée est porté par un désir vers Jésus. Mais face au désir de Zachée, deux obstacles :
D’abord la foule. Obstacle intéressant, dans la mesure où cet obstacle est constitué de fidèles, de disciples, de gens qui écoutaient et suivaient Jésus.
On peut tout à fait lire ça comme une critique de l’Église. En effet, la foule des croyants et croyantes qui forment l’Église n’est-elle pas parfois un obstacle sur le chemin de celles et ceux qui souhaitent rencontrer le Christ ?
Est-ce que l’Église ne fait pas parfois écran entre celui ou celle qui cherche Dieu et l’essentiel, c’est-à-dire le Christ ? Est-ce qu’elle ne masque pas cet essentiel derrière une quantité de dogmes, de pratiques ou de discours parfois sclérosants, excluants ou inaudibles ?
Quand on écoute nos contemporains, on se rend vite compte que beaucoup se disent anticléricaux plutôt que purement athées…Et ça donne à réfléchir, non ?
Le 2e obstacle, c’est la petite taille de Zachée – le texte grec nous dit même littéralement qu’il est minuscule. Il aurait pu se décourager, baisser les bras et partir faire autre chose, puisque de toute façon il ne pourrait pas réussir à voir Jésus. Mais non, pour Zachée, rien n’est perdu d’avance. Il souhaite voir et s’en donne les moyens. Il court en avant et grimpe dans un arbre, car il tient vraiment à voir Jésus.
Ce que ça nous dit c’est que nous pouvons aussi être un obstacle à notre propre rencontre avec le Christ. En nous pensant trop petit ou petite, pas assez bien, pas assez intelligent ou intelligente, pas assez si ou ça… nous pouvons nous exclure nous-même de la possibilité de rencontrer notre sauveur.
Mais même si Zachée n’avait pas tout fait pour voir Jésus, même si Zachée n’avait pas pu voir Jésus, Jésus lui, l’aurait tout de même vu. Car c’est bien Jésus qui lève les yeux sur lui et l’interpelle.
Jésus qui transcende le regard que nous portons sur nous-même, qui transcende les discours que l’Église ou le monde peuvent poser sur lui, qui transcende les défauts de son Église et les exclusions qu’elle met en place trop souvent.
Je ne sais pas si vous connaissez ce sketch des Inconnus, trio d’humoristes très célèbre quand j’étais jeune. Oui, je sais, c’est une question de génération ! Mais pour celles et ceux qui ont connu ce sketch, vous comprendrez tout de suite ! Pour les autres, il s’agissait de Bob, un petit banlieusard parisien qui au pied de l’immeuble de son copain Manu, l’interpellait en criant « Hé Manu, tu descends ? » et l’autre, de sa fenêtre répondait « ben pour quoi faire ? », et cette petite scène se répétait inlassablement tout au long du sketch. Une réplique ultra connue à mon époque, qui était scandée dans toutes les cours de récré.
On imagine bien Jésus et Zachée dans cette scène : « Hé, Zachée, tu descends ? », et Zachée de répondre « ben pour quoi faire ? »…
Si je pense à ces humoristes à chaque fois que je lis l’histoire de Zachée, c’est parce que contrairement au sketch dans lequel Bob ne répond jamais à la question, dans notre texte, Jésus est clair : Zachée doit descendre parce qu’il faut que Jésus demeure chez lui ! Et c’est bien une obligation, le verbe grec le souligne, il y a un « il faut » clair et net, sans appel.
Il faut que Jésus demeure chez Zachée !
Autrement dit, il faut que Jésus demeure chez chacun et chacune d’entre nous.
Et peu importe les obstacles : peu importe que nous fassions partie de cette foule qui fait obstacle, peu importe que nous nous pensions trop petit ou petite, peu importe que les autres nous pensent indignes…
Dieu/Jésus veut demeurer chez nous.
Cette présence de Dieu chez nous, en nous, dans nos vies, ne se gagne pas en s’élevant : oui, Zachée monte dans un arbre, mais Jésus l’en fait descendre pour le rencontrer.
Loin de l’élévation des grands et grandes mystiques, c’est bien sur terre, les deux pieds bien ancrés dans le sol que Dieu veut nous rencontrer, et non hors-sol. Ce n’est pas en progressant, en se perfectionnant, en se purifiant que nous rencontrons Dieu, mais simplement en recevant cette présence divine, tel·le·s que nous sommes, avec nos défauts, nos fragilités, nos manquements.
C’est en étant là, en bas, sur terre, dans nos vies de tous les jours que nous le rencontrons. Le royaume de Dieu ne se gagne pas en s’élevant, mais il se reçoit, tout simplement.
La foule – les habitants de Jéricho, les Juifs présents, les disciples – pensent Zachée indigne et impur parce qu’il collabore avec l’occupant romain ? Et ils critiquent le fait que Jésus fasse sa demeure chez cet homme qu’ils jugent être mauvais ?
Jésus lui dit : « Je te vois, je t’aime et je veux demeurer chez toi ».
Influencé par le jugement posé sur lui par les autres, Zachée se pense peut-être petit, insignifiant, indigne ?
Jésus lui dit : « Je te vois, je t’aime et je veux demeurer chez toi ».
Certains, certaines sont jugés indignes et impur·e·s parce que différent·e·s dans leur origine, leur sexualité, leur genre ?
Jésus vous dit, nous dit : « Je te vois, je t’aime et je veux demeurer chez toi ».
Nous nous pensons souvent insignifiants et insignifiantes, parce que nous l’entendons dans les mots ou les actes de nos contemporains ?
Jésus nous dit : « Je te vois, je t’aime et je veux demeurer chez toi ».
Jésus regarde Zachée, vraiment, pour ce qu’il est, tel qu’il est : un enfant d’Abraham. Un enfant de la promesse que Dieu a faite au patriarche : Abraham devient l’ancêtre d’une multitude de peuples, et Dieu l’accompagne et accompagnera les générations qui formeront sa descendance. Zachée est un enfant de cette promesse d’un Dieu fidèle, présent, qui féconde sa vie.
Nous sommes toutes et tous enfants d’Abraham, enfants de cette promesse. Et la descendance promise ne se résume pas au fait d’avoir des enfants, car tout le monde ne fait pas ce choix ou ne peut pas le faire. La descendance dont parle ici le texte est aussi la fécondité de nos vies, ce que l’on partage avec les autres, l’amour que l’on sème.
Nous, descendance d’Abraham, nous sommes un peuple très divers : diverses origines, diverses cultures, diverses langues, diverses situations économiques et sociales, diverses vies affective et amoureuse, divers genres… Et la liste n’est pas exhaustive.
Nous sommes un peuple invité à vivre de ces différences, pour être un peuple fécond, justement parce que nous vivons de cette vie en plénitude que Dieu nous offre, dans nos différences.
Jésus nous regarde, vraiment, pour ce que nous sommes, tels que nous sommes. Et il nous aime, soyons en sûr·e·s.
Pour finir, j’aimerais vous proposez de lire ce texte en lien avec un autre passage de l’évangile de Luc, dans lequel il appelle aussi un personnage par le qualificatif d’enfant d’Abraham : la péricope de la femme courbée au ch. 13.
Cette femme, courbée par une maladie – nous dirions aujourd’hui porteuse d’un handicap – sur laquelle Jésus pose un regard qui considère. Un regard qui la considère, telle qu’elle est. Et une parole : « Fille d’Abraham », comme avec Zachée. Et cette femme se trouve redressée.
Peu importe alors qu’on croit ou non au miracle, à la guérison physique, c’est bien le fait que cette femme soit redressée qui nous parle ici : redressée dans son corps, peut-être, mais restaurée dans sa dignité, assurément !
Elle est la seule et unique femme appelée « fille d’Abraham » dans tout l’Évangile, et elle préfigure Zachée.
La théologienne Valérie Duval Poujol a écrit un petit texte, dans lequel elle prête ces mots à la femme recourbée : « Désormais je suis une femme debout […], cohéritière de tout ce que Dieu a promis à Abraham. J’ai de la valeur ! »
Et elle poursuit : « mon souhait est que cette histoire soit transmise de génération en génération pour encourager d’autres femmes ou d’autres personnes courbées par les injustices, les souffrances de la vie. […] Oui, Dieu redresse les vies courbées ! »
Frères et sœurs, Dieu ne redresse pas les vies courbées en enlevant ce que nous pensons être l’origine de cette courbure : telle ou telle manière de vivre, telle ou telle manière de penser, de prier, de louer, d’aimer.
Trop souvent nous remplaçons la volonté de Dieu par les nôtres, nous décidons de ce qui est bien ou mal, nous jugeons ce qui ne rentre pas dans les cases rassurantes que nous avons forgées. Mais seul Dieu sait ce qui est bon, seul Dieu sait ce qu’est sa volonté.
Et il vient redresser ce qui est devenu courbé à trop vouloir rentrer dans les cases rigides que nous avons construites.
Dieu redresse, Dieu relève, Dieu restaure. Non pas une nature originelle fixée à l’avance, mais une valeur. La valeur humaine. La valeur de chacune et chacun d’entre nous.
Oui, mon frère, ma sœur, tu as de la valeur. Comme cette femme courbée, comme Zachée, tu as du prix aux yeux de Dieu et il t’aime. Tu es une merveille à ses yeux, sois en sûr·e !
Amen !